#1 L’humeur du vendredi 25 août
Ça sent l’essence, ou plutôt l’essence brûlée. Une odeur chimique qui me brûle les narines. Mes narines déjà enflammées par le méchant virus qui m’a couchée hier - quelle absurdité d’avoir un rhume en ces jours caniculaires. Une vision vient traduire l’odeur : la fumée qui s’échappe du barbecue voisin. Voilà, ça pue l’allume-feu. La fumée s’évapore entre les pins desquels proviennent de petits craquements : une famille d’écureuils dévore son festin, des écailles de pommes de pins s’échouent sur la terrasse baignée de soleil. À l’ombre, le vent caresse ma peau nue gavée d’UV ces dernières semaines. Chaque été depuis l’enfance, le même scénario pour les grandes vacances, le même programme : lire, plonger, lézarder.
Un mois que je n’avais rien écrit, pas une ligne. Je mentirais si j’affirmais que ça m’avait manqué : je n’y ai pas vraiment pensé et l’idée d’une oisiveté totale m’a, pour une fois, maintenue tranquille.
Ce qui ne me laisse pas tranquille, c’est le génie littéraire de Leïla Slimani. Je viens de terminer son dernier roman « Regardez-nous danser », sublime fresque familiale dans un Maroc déchiré entre les archaïsmes et la modernité occidentale. J’ai tout aimé dans ce livre, comme j’aime tout ce qu’écrit Leïla Slimani. Il n’y a jamais de fausse note. J’ai toujours peur de faire des fausses notes. Ça me rappelle une discussion avec Bertrand Burgalat, rencontré au début de l’été, qui confiait qu’au moment de composer de la musique, s’il se mettait à penser à tous les chefs d’œuvre que d’autres ont produit avant lui, rien ne jaillirait. Il encourageait à s’émanciper de celles et ceux que nous admirons et qui nous fascinent. Ce sont aussi celles et ceux qui nous paralysent.
Je vais tâcher d’oublier Leïla Slimani de temps en temps.
Je me demande comment s’y prendre pour sans cesse renouveler sa création. C’est peut-être pour ça que j’ai délaissé l’écriture ces dernières semaines. Lorsque j’écris, j’ai souvent l’impression de revenir aux mêmes thèmes ; comment transforme-t-on ses obsessions ? Comment passer à autre chose ?
Il y a un an, Sophie Fontanel postait une publication sur Instagram dans laquelle elle affirmait que « ça y est, c’est revenu ! », alors qu’elle pensait n’avoir plus rien à dire après avoir écrit une dizaine de romans. Puis d’un seul coup, ça l’a frappée sur une plage normande, l’idée l’a envahie et elle raconte avoir eu besoin de s’asseoir sur le sable pour écrire les mots qui lui (re)venaient. Son nouveau roman sera en librairie dans quelques jours.
Je vais tâcher d’oublier Leïla Slimani de temps en temps et invoquer Sophie Fontanel si l’inspiration vient à manquer.
L’histoire, c’est que j’aimerais que Leïla Slimani ou Sophie Fontanel me disent comment on sait qu’on a mis le point final à son roman. Et comment, après un an de solitude galvanisante peuplée de personnages, de jours et de nuits de création farouche, on revient à la « vraie vie », si tant est qu’il y en ait une ?
#2 Note à moi-même
« Ainsi cependant vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui puisse se faire pour vous, en le perdant avant qu’il soit advenu. »
Les dernières lignes du roman de Marguerite Duras La maladie de la mort, lues sur le compte Instagram de Morgane Ortin qui m’a follement donné envie de le lire.
Je vous embrasse.



