Il n'y a pas de mode d'emploi.
Où sont les textes qui racontent l'amour heureux, les livres qui décrivent la sérénité logée dans un sourire ?
#1 L’humeur du mercredi 2 avril
J’ai rêvé que nous habitions avec ma grand-mère. Sa maison ressemblait à celle que j’ai connue, mais elle était meublée de façon beaucoup plus baroque : une cheminée était ornée de frises fleuries, des dorures entouraient les fenêtres, les tables et les chaises étaient en bois sculpté, les rideaux en velours. Tout respirait l’opulence et je m’étonnais d’avoir le luxe de la connaître à nouveau. Je pensais : “Et dire qu’elle était morte et qu’elle est revenue, tout simplement”, et ça semblait normal, ce ménage à trois fantasque.
Au réveil, je me suis demandée si ma grand-mère continuerait de me hanter comme ça tout au long de ma vie. J’ai cru qu’en écrivant un livre dans lequel elle est plus que vivante, je me débarrasserais un peu d’elle. Je me suis trompée. C’est comme si elle était toujours à la source d’un nombre incalculable de choses et que, plus le temps passe, plus les questions que j’aimerais lui poser s’accumulent. Les seules réponses qu’elle me donne sont ses intrusions dans mon esprit la nuit, et la joie, la légèreté avec lesquelles elle les habite me laisse penser que tout va bien, qu’elle m’invite à abandonner les questions.
Lorsque j’étais adolescente, elle me disait souvent : “Prends le temps, ne te mets pas en ménage trop vite”, tandis qu’elle s’était mariée à tout juste vingt-et-un ans. Autrement dit : “Chéris ta liberté et ne laisse rien, surtout pas un homme, l’entraver.” J’ai attendu presque trente ans pour vivre avec quelqu’un, le temps de trouver celui qui démultiplierait ma liberté.
Dans cette nouvelle vie à deux que j’apprends jour après jour, j’interroge les modèles. La littérature, que j’ai l’habitude d’invoquer à chaque moment de ma vie pour savoir comment la conduire, semble pour la première fois défaillante. Il y a un mois, nous en parlions avec d’autres femmes dans le cadre d’un club de lecture dont le thème était : “cette relation amoureuse qui ne rend pas les personnages essentiellement vulnérables.” Au cours de la discussion passionnante, l’une des participantes a confié qu’elle avait du mal à mettre la main sur des ouvrages qui dépeignent la beauté de la vie à deux, les “moments simples du quotidien” si je me souviens bien de ses mots. Elle déplorait le manque de textes pour parler de l’amour qui se construit, du quotidien prenant forme, tandis que les récits d’amour malheureux abondent. J’ai moi-même écrit un roman sur la désillusion amoureuse, je ne pouvais donc qu’acquiescer. Nous nous sommes interrogées : n’y a-t-il que l’amour malheureux qui puisse s’écrire ? Est-ce nécessairement l’absence qui motive la création ? Cela nous a semblé trop radical, peu satisfaisant.
De là où je viens, l’amour romantique n’est pas autre chose qu’une épreuve parce qu’il est érigé sur un piédestal, ce qui le rend impossible. Nous sommes nombreux à avoir une haute idée de l’amour, de ce qu’il devrait être ; comment se conjugue-t-il au présent ? Il y a cette idée reçue que l’amour romantique heureux serait niais, vide, insipide, comme s’il n’y avait rien à en dire. Il faudrait que l’autre soit toujours à conquérir, cerné par les flammes, obsédant sinon inexistant. Il faudrait avancer masqué, fuir pour être suivi, rester bien accroché dans les montagnes russes.
Où sont les textes qui racontent les rituels, réconfortants et merveilleux, les livres qui décrivent la sérénité logée dans un sourire, la confiance donnée par un regard, les promesses d’avenir formulées à l’aube du sommeil ? Si ce n’est pas la littérature, qui nous enseigne comment bien aimer l’autre ? Est-ce qu’on apprend à son contact ? Vaut-il mieux être mal aimé plutôt que de ne pas l’être du tout ? Peut-on aimer l’autre plus que soi-même ? Et est-ce recommandable ? S’agit-il d’amour lorsqu’on ne se le dit pas ?
Tu vois Mamie, toutes ces questions que je me pose parfois… Est-ce que tu penses qu’il y aurait de quoi en faire un livre ?
#2 Note à moi-même
« Toutefois le compliment que je préfère, c’est quand tu me dis que tu ne t’ennuies pas avec moi. Ça paraît peu de choses peut-être, à mes yeux c’est immense, et je te remercie de m’accorder que la routine puisse être merveilleuse. »
Extrait de Sans savoir où la luge s’arrêtera, Bernard Chambaz
Bonjour Valentine,
J'ai beaucoup aimé découvrir certains de tes textes aujourd'hui. Ecriture sensible, délicate, qui sonne juste et donne le sentiment d'émaner d'un centre de vérité intérieure, sincère et humble.
Concernant le sujet de l'article, peut-être pourrais tu te diriger vers Serge Rezvani d'une part, pour le plus connu, car récemment remis en avant par Mona Cholet ; d'autre part, je te conseille de découvrir un auteur aujourd'hui méconnu, qui a la particularité d'avoir énormément écrit aussi sur le couple et la relation d'amour qu'il a eu avec sa femme, qui a été la grande aventure spirituelle et humaine de sa vie : Jacques de Bourbon Busset. La plupart de ses livres sont aujourd'hui difficile à trouver en dehors du marché de l'occasion, mais un très beau livre est disponible en poche, qui s'appelle Lettre à Laurence.
Au plaisir de te lire
Quand on est heureux, peut-être n’avons nous pas besoin de communiquer! Juste profiter de chaque instant et tout faire pour que ça dure toujours !