#1 L’humeur du mardi 8 mars
Fragment amoureux
La lumière s’infiltre en liserés au travers des volets, la nuit est déjà loin. Tu t’es levé et as quitté la chambre – pour boire, je crois. Quand tu reviens, je te regarde et te souris, je ne fais plus semblant de dormir comme j’aurais pu le faire avant. Je te demande si ça va : « oui » tu susurres.
Nu comme un vers, les bras étirés vers le haut, les yeux encore embués de sommeil et les boucles en bataille, tu t’élances vers la lumière de la fenêtre et oses un petit déhanché. Je ris. Je ne quitte pas des yeux ton corps qui ondule. Lorsque tu te retournes, je tends les bras vers toi tel un appel, le sourire indécrochable.
Tu mets de la poésie dans tout ce que tu effleures, je n’ai jamais connu quelqu’un qui ait cette grâce. À ton contact, je suis touchée par la grâce. Je me dis que nos deux êtres ensemble ne mentent pas. Nos deux corps non plus. C’est fabuleux comme ils se parlent. Je me dis aussi que tu m’as réanimée. Comme si le reste du temps, ce corps n’avait été qu’à moitié en vie.
Dans un élan si naturel, si spontané, tu te jettes doucement sur le lit, sur moi, et tu m’enlaces, tu enfouis ta tête dans mon cou. Comme tu le fais souvent. On se dit des petits mots, rien d’important, je ne sais plus. Accrochés l’un à l’autre, on roule sur le côté. Je crois que je dis : « on est bien là » et tu fais « oui » de la tête, avant que je ne m’en aille. Pour de bon.
Alors j’ai dit au revoir à la bouche en coeur, aux yeux comme deux petits soleils, au nez aquilin, à la chevelure de chevalier. Nous étions simplement deux êtres dont les cœurs ne s’accordent pas. Deux cœurs qui ne battent au même rythme que par intermittence, dans des interstices hors du temps au sein desquels plus rien ni personne ne bat sa mesure… Deux cœurs en décalage. Et finalement, quoi de plus banal ?
Une fois dans la rue, je ne me retourne pas vers l’immeuble pour voir si à tout hasard, tu serais en train de me regarder partir derrière le carreau de ta fenêtre. Ce n’est même pas un effort. Je ne veux plus regarder en arrière et c’est enfin la chose la plus naturelle au monde.
Un de plus dans la collection
#2 Ce que j’ai vu de beau ces derniers jours
La profondeur et la sensualité des bleus de la peintre Safia Bahmed-Schwartz.
#3 Note à moi-même
« Il y a en elle un miracle qui brûle. »
Anna Akhmatova dans le poème « La musique », issu du recueil Requiem : Poème sans héros et autres poèmes.
Je vous embrasse.